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Le chant de l’Atlas et le cycle de la nature

 Dans les montagnes de l’Atlas, qui s’étendent sur une vaste superficie du territoire du Maroc avec une diversité qui donne des complexes aux géographes et aux ethnographes, c’est tellement vaste et complexe, les chants et les rythmes sont au quotidien souvent les relais privilégiés des gestes du travail : labeur, moisson, vannage, moulage, cuisson du pain, toison, construction, montage d’une tente....

 Les expressions musicales quasiment utilitaires, embryonnaires, à la fonction cinétique ne sont que l’avant-goût des genres les plus élaborés, les plus complets et qui sont du ressort des fêtes, c’est-à-dire des grandes occasions où l’on déploie musique, danse et rythmes, chants et joutes poétiques : un spectacle total centré sur la musique.

 Dans l’exercice social de la musique, les aspects profanes et sacrés s’interpénètrent dans le cadre de la vie paysane et, à plusieurs égards, interfèrent sur la créativité bien que les poètes et musiciens mobilisent surtout des qualités de mémoire, de calcul inconscient des quantités et d’improvisation ; et tandis que la danse engage le corps, le chant engage la voix et les sentiments les plus insoupçonnés. Les atlassiques ont l’habitude des hauteurs. On peut leur faire crédit d’une longue vue et d’une propension à la voix forte exercée depuis l’enfance à jouer avec l’écho des cîmes et les appels obligés de grande distance.

 Les gens de musique, de chants et de danses sont en nombre insoupçonnable. On peut dire que chaque tribu ou chaque fraction de tribu possède son expression et cultive son système rythmique. Il y a pourtant des expressions génériques à qui par-delà les variantes et nuances régionales sont à peu près les mêmes un peu partout. Nous pouvons les énumérer depuis les formes simples individuelles à celles complexes mobilisant un grand nombre de villageois.

 Le premier genre qui nous appelle, qui nous introduit dans le chant atlassique est Tamawayt, ce chant en guise d’appel que les femmes ou parfois des hommes avec des voix de fausset entonnent sans être encadrés par un rythme ou limités par une forme, il est généralement une série de mélopées, une technique vocale particulière où Yamna Ouaziz passait, dans les années 50 et 60, maîtresse appréciée et adulée.

 Dans l’Ahellil, deux femmes se relaient en moulant le grain et chantent chacune des vers complets et non seulement en antiphonie comme c’est contenu dans les chants de groupe. Ce genre est utilisé aussi pour bercer l’enfant, accompagner les moissons, et dans le travail de laine... C’est le vis-à-vis d’un genre masculin, Ladkar fait généralement pour prévenir certains effets néfastes sur les récoltes, tels que la neige, la grêle, le gel, les vents forts.

 Danses collectives

 Les chants en petits groupes peuvent être introduits par Tiwizi (passé en arabe, le terme devient twiza, entraide collective) dans ce genre les femmes se retrouvent en groupe et chantent tizrrarin ; tour à tour l’une d’elles entonne sur un registre aigu, des broderies mélodiques (on peut comparer le même procédé à un exercice de versification collective dans le Malhoun qui s’appelle justement twiza). Avec Izlâm et amarg nous entrons déjà dans des genres lyriques, une ouverture sur les images d’amour, sur une rhétorique, un symbolisme pertinent.

 Le vannage (azzuzar) séparant le grain de la paille se fait à l’aide de la brise. Le vent (rih) est curieusement aussi un terme pour qualifier la mélodie autant que l’esprit qui anime celle-ci. Les intervalles qui séparent l’apparition du vent et sa disparition sont le prétexte du chant, mais une fois le vannage terminé, les grains et la paille collectés et emmagasinés, la même place du travail peut devenir une scène de danse collective.

 Des danses collectives sont des moments de communication, une expression de joie et d’accomplissement, la réalisation corporelle du rythme, le plaisir de retrouver les siens mais aussi un espace où se résolvent les conflits et les malentendus.

 Ces danses sont presque aussi nombreuses que les tribus elles-mêmes. Leurs différences de caractère et de symbolique n’empêchent pas de distinguer parmi elles deux genres majeurs : Ahidous du Moyen Atlas au Haut Atlas oriental et Ahwash sur le reste de l’Atlas jusqu’aux confins du Sahara. L’examen chorégraphique, symbolique acoustique et ethnographique des deux grandes danses mérite un éclairage ultérieur plus approprié et plus large.

 La saison des fêtes intervient, comme repère temporal, après une intense activité agricole. Les mariages, circoncisions, célébrations de moussems des saints, concordances des fêtes religieuses et plus spécialement le retour de La Mecque, ou la nativité de Sidna Mohammed (le Mouloud) sont autant d’occasions de fêtes. Mais c’est sûrement le mariage qui est de loin la plus importante des fêtes, non seulement parce qu’elle constitue pour le rite de passage des deux membres du couple, mais aussi parce qu’elle scelle ou renforce une alliance entre deux familles. Ici le chant et la danse sont considérés comme une obligation religieuse et sacrée ; leur absence est censée attirer toutes sortes de malheurs à la mariée.

 Le rituel de la fête est l’affaire des vieilles femmes (tifqirin) tandis que le jeu, le divertissement (ourar) est une liberté qu’on concède aux jeunes après les éléments du rituel. On mesure le degré de sérieux d’un Ahidous à la présence ou non de gens suffisamment âgés. L’image sérieuse de la danse collective suggère même certains avis empressés sur sa symbolique : on avance que l’Ahidous prend sa source dans le paganisme antéislamique, qu’elle est une survivance des anciens rites d’adoration de la terre et du soleil, ou encore qu’elle dérive des cultes grecs de Dionysos. Avons-nous besoin de refuter ces explications ?

 Sensibilité musicale marocaine

Evidemment toutes les danses heurtent quelque part l’orthodoxie de l’Islam, sans pour autant devoir leur continuité à une survie du paganisme. S’il fallait donner une autre signification, ce sera le rôle des danses collectives dans la cohésion tribale ; elles reproduisent les gestes quotidiens, symbolisent l’union et la primauté du groupe.

 Semblable à l’élève de l’école coranique, le chanteur ou danseur a cette capacité de trouver et de maintenir un espace individuel malgré une présence importante du groupe. C’est l’entretien d’une aspiration plus profonde, celle d’une société où l’on est rarement seul, et même les génies individuels sont perçus comme l’exception, le prélude ou comme l’asallaw (la complainte et les pleurs) le respect de la solitude, et l’assurance d’une compassion.

 On peut, légitimement, à partir des chants de l’Atlas remonter à la définition du patrimoine et de la sensibilité musicale du Maroc.

 Dans la diversité des musiques du Maroc, on peut entrevoir des éléments d’unification dont l’accent, le débit rythmique et acoustique, une asymétrie quantitative, une dynamique qui fait que même notre parler quotidien, toutes variantes comprises , est difficilement reçu et perçu par nos amis de l’Orient peu soucieux de l’effort d’appréciation d’autres dialectes que le leur.

 Ce qui imprime à nos musiques, le particularisme constaté, c’est un ensemble de couches stylistiques historiquement constituées, combinées et différemment dosées dans les différents genres : le substrat berbère, un modélisme arabe, le rythme africain, un esprit austère saharien et une foule de survivances anciennes. Les mêmes éléments de syntaxe, les mêmes croyances, les mêmes prétextes président au jeu de la musique.

 Les aspects de la musique berbère doivent être perçus non comme une culture à part, mais comme un caractère qui au-delà des montagnes imprègne des gens qu’on soupçonne sans lien entre eux.

 Il y a pourtant un caractère berbère dans la ’aïta, la taqtouqa jabaliya ou le malhoune. Une similitude frappante est à constater entre la structure du mizan dans la nouba andalouse et la coupe standard du concert des rwayes soussis : dans les deux genres on procède de la même façon, (entre parenthèses nous donnerons les termes comparatifs de la nouba), des préludes instrumentaux astara (mchalya), amussu (tawshiya) une progression accélérée du chant (mizan) tamsust (inciraf) tabboyat (qofl).

 Mais alors que chez les rwayes, l’inspiration et l’improvisation continuent d’avoir la bonne place, dans la nouba tout est réglé (préréglé), et seuls le mawwal et le taqsim d’ailleurs facultatifs et d’introduction tardive, gardent pour les musiciens un semblant de liberté d’improvisation.

 Dans une phrase célèbre, Debussy affirmait qu’ « il y a plus de musique dans les sons d’un ruisseau que dans toute la symphonie pastorale de Beethoven ». Enthousiasme ou parti pris, le fait est qu’on prend depuis le début du siècle de plus en plus conscience de la nature comme objet, il reste à l’intégrer comme condition et comme écosystème, comme ressourcement.

Source : Amale Nazih lematin.ma